«Alors il se mit à laver les pieds des disciples…» (Jn 13, 1-15)
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit: «C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds?» Jésus lui répondit: «Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant; plus tard tu comprendras.» Pierre lui dit: «Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais!» Jésus lui répondit: « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi.» Simon-Pierre lui dit: «Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête!» Jésus lui dit: «Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds: on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous.» Il savait bien qui allait le livrer; et c’est pourquoi il disait: «Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit: «Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous.»
Illustration: «Jésus lave les pieds de Pierre», par Ford Madox Brown (1821-1893), huile sur toile peinte en 1852, © Tate Gallery, Londres.
La liturgie du Jeudi Saint commémore le dernier repas de Jésus avec ses disciples (la Dernière Cène) ainsi que l’institution de l’eucharistie. Curieusement, c’est le récit de saint Paul, dans la seconde lecture, qui sert de rappel principal. L'évangile, suivant saint Jean, rappelle plutôt le lavement des pieds, sans se préoccuper des paroles de l’institution. C’est que l’évangile de Jean, plus tardif, s’adresse à une communauté pour qui l’eucharistie est déjà connue, pratiquée et comprise. Ce qui intéresse l’auteur, c’est dorénavant le sens qu’il faut lui donner : la charité fraternelle et le service les uns des autres, comme Jésus en a donné l’exemple. En lavant les pieds de ses disciples, le Seigneur résume le don total qu’il a fait de lui-même en prenant le chemin de la passion et de la croix.
Pour saint Jean, le passage où le Christ lave les pieds de ses disciples est un acte d'amour total. Pour illustrer cet épisode le peintre britannique Ford Madox Brown se positionne de manière inhabituellement très basse. Du coup, les spectateurs que nous sommes se retrouvent placés au niveau du sol, près de Jésus et de Pierre. Imaginons la toile accrochée sur un mur. Il nous faut littéralement lever les yeux vers le Christ pendant qu'il lave les pieds en toute humilité. Notre humilité devrait être encore plus humble que l'humilité du Christ, voilà le message.
Un Pierre étonnamment vieux et à l'air sévère est assis en face de Jésus. Le chef des disciples a les mains jointes et regarde attentivement Jésus. Il n’apprécie ni ne comprend ce qui se passe. Suivant le récit évangélique, Pierre est probablement sur le point de s'écrier, si ce n'est pas déjà fait: «Je ne sais pas ce que je fais. Tu ne me laveras jamais les pieds!»
Le reste des apôtres se contente de regarder, mais ils sont dans la désolation. Un apôtre se tient la tête dans ses mains, un autre se mord même la main. Ils craignent les jours à venir et sont incertains quant aux événements qui vont se dérouler. À gauche du tableau, nous voyons une bourse d'argent posée sur la table à côté d'un disciple qui défait ses sandales: c'est Judas. Remarquez que celui-ci est le seul apôtre qui semble insensible à l'horreur générale que les autres expriment… et il défait ses sandales et trahit Jésus, littéralement dans le dos de Jésus.
Lorsque ce tableau de l'artiste Ford Madox Brown été exposé pour la première fois, les critiques ont dénoncé sa grossièreté. À l'origine, Jésus était représenté à moitié vêtu, ce qui a provoqué un tollé. Le tableau est resté invendu pendant plusieurs années jusqu'à ce que l’artiste retravaille le personnage en robe.
Le lavement des pieds n'est pas seulement une belle lecture de l'évangile illustrant l'humilité et l’amour du Christ. Il s'agit d’un exemple donné par Jésus et d’un commandement qui ne peut être ignoré: nous devons cultiver assez d’humilité pour placer les besoins des autres avant les nôtres. La juxtaposition avec l’eucharistie rend cet appel non-négociable: on ne peut célébrer l’eucharistie et recevoir le Corps du Christ, sans se préoccuper du Corps ecclésial du Christ, en commençant par les plus petits et les plus humbles de ses frères et de ses sœurs, qui sont aussi les nôtres. Pierre ne comprend pas encore, mais une fois qu’il aura saisi toute la profondeur de cet appel, il en deviendra le gardien, et les successeurs des Apôtres après lui. Prions pour toute l’église, pour le pape, les évêques, les prêtres, les laïcs, hommes et femmes, qui se consacrent au service de l'eucharistie, de sacrement de la charité du frère et de la sœur.
Bon Semaine Sainte, au cœur du jubilé de l’espérance!
Claude Pigeon, prêtre