01 Jun
01Jun

«Demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut» (Lc 24, 46-53).

Lorsqu’une personne proche est sur le point de nous quitter, nous voudrions la retenir, la garder près de nous pour toujours. Quand l’inévitable départ se produit, nous nous attachons à des objets qui deviennent des rappels de sa présence, une sorte de prolongement, un signe, un souvenir, un réconfort. Au Québec, plusieurs ont même pris l’habitude de conserver les cendres du défunt, le temps de vivre une partie de leur deuil, avant de les déposer au cimetière auprès des autres membres de la famille. Ils font comme si la personne était toujours là. L’être cher est certes toujours présent, mais sous une autre forme, pas physiquement, nous obligeant à faire preuve de résilience et à nous adapter à la suite de ce départ.

Pour les disciples, il était nécessaire de comprendre que le Jésus qu’ils avaient suivi sur les routes de Palestine, le Maître qu’ils avaient tant aimé, ne serait plus là. Déjà, l’évangile de Jean avait invité Marie de Magdala à ne pas retenir Jésus et l’avait envoyé annoncer la bonne nouvelle à ses amis (Jn 20, 17). C’est le même départ avec la même invitation au détachement que veut évoquer aujourd’hui l’évangile de Luc.

L’Ascension de Jésus est une invitation pour les disciples à prendre eux aussi un nouveau départ. Dans un premier temps, ils vont demeurer à Jérusalem. Il n’est pas question de revenir à leurs activités passées comme ils pourraient y être tentés, ce serait admettre qu’ils se sont trompés en misant sur Jésus. Après avoir été préparé par les manifestations de Jésus ressuscité, son Ascension, c'est-à-dire son retour vers le Père, dispose les disciples à repartir avec un dynamisme nouveau, « une force venue d’en haut », qui leur sera donnée à la Pentecôte. C’est la promesse de Jésus, faite aux disciples et à l’Église qui suivra. 

N’en va-t-il pas de même lorsque ceux et celles que nous aimons nous quittent? Vain est le culte de l’absence. Après avoir vécu un deuil, nous recueillons l’héritage de vie, d’expériences et de valeurs que l’être aimé nous a laissé et que nous choisissons d’honorer et de garder vivant. C’est ce qui nous relance après le départ de nos proches. Il en va de même pour les croyants et les croyantes que nous sommes. Le départ de Jésus vers son Père nous offre une force incommensurable afin de prendre de nouveaux départs. Viens, Esprit de Pentecôte!

Illustration: «Le départ du navire ailé», huile sur toile créée en 2000 par Vladimir Kush, Musée d'Art contemporain de New York.

«Le départ du navire ailé» est une oeuvre surréaliste de Vladimir Kush (1965- ), un artiste russe connu pour son style proche de Salvador Dalí. Ce peintre et sculpteur est né à Moscou le 29 mars 1965. Dès l'âge de 7 ans, il commence à fréquenter une école d'art où il se familiarise avec les artistes de la Renaissance, les impressionnistes et d’autres artistes modernes russes. À 17 ans, il entre à l’Institut d’art Surikov de Moscou. Son passage est interrompu par deux années de service militaire obligatoire, où après six mois d'entraînement, il sera uniquement utilisé pour peindre des affiches de propagande. Après avoir obtenu son diplôme, il commence à peindre des portraits dans la rue afin de subvenir aux besoins de sa famille. En 1987, il expose ses premières oeuvres. Il quitte la Russie en 1990 pour les États-Unis, où il poursuit sa carrière artistique.

Kush est reconnu pour son style unique qu'il qualifie de «réalisme métaphorique», mêlant imagination et fantaisie. Il travaille principalement la peinture à l'huile sur toile, mais réalise également des sculptures en bronze, souvent inspirées de ses tableaux. Certaines de ces toiles peuvent être comparées à Salvador Dalí dont il s’inspire en matière de temps ou d’objets de taille disproportionnée. Kush a pourtant fini par trouver sa méthode unique de création d’œuvres d’art et a suivi sa propre voie. 

«Le départ du navire ailé» a été réalisé en 2000 et appartient au courant réalisme magique. Nous entrons dans le rêve, monde fantastique et imaginaire de l’artiste. Les voiles sont remplacées par des papillons, un animal qui évolue au gré du vent. C'est la représentation du rêve et de la liberté souhaitée. Cette impression est renforcée par le symbole du navire qui sur les mers n'a que les limites que le capitaine lui impose. Mais comme chacun sait, un papillon est éphémère, finalement autant que le rêve, l’imaginaire a donc aussi ses limites. L’artiste évoque cette dure réalité en mettant en scène un papillon prisonnier au premier plan, attrapé par l’un des chasseurs qui lui donne la mort. D'autres brandissent des filets, cherchant à en capturer d'autres.

Les couleurs employées par l’artiste suscitent une impression de légèreté et de sérénité. Elles font naître l’envie de voyager en s’envolant avec les papillons. À l'arrière-plan, le mouvement est donné par la forme tourbillonnante des nuages et l'univers de paix par le bleu brut du ciel, une couleur dominante dans l'œuvre entière de Kush. Ici, les nuages en mouvement renforcent l'idée d'un voyage vers un monde imaginaire. Rien n'est naturel et pourtant tout semble réaliste. C'est un rêve naïf qui mourra au réveil, comme le papillon échoué à l’avant-plan. C'est à nous de le prolonger et de faire en sorte qu'il devienne réalité.

Je fais ici le lien entre cette œuvre et le départ de Jésus qui nous promet son Esprit afin de poursuivre son œuvre. L’Ascension, c’est le retour de Jésus au Père afin que ses disciples puissent prendre un nouveau départ et l’Église prendre le large. Kush remplace les voiles physiques du navire qui part vers un monde nouveau par des papillons. C’est l’Esprit saint qui jouera ce rôle pour l’Église. Sans l'Esprit saint, rien n'arrivera. De la même manière que sans nous, l'Esprit saint n'aura rien à pousser en avant. Viens Esprit de Pentecôte!

Joyeuses Pâques, au cœur du jubilé de l’espérance!

Claude Pigeon, prêtre

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