03 Aug
03Aug

«La vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède.» (Lc 12, 13-21)

Dans l’évangile de ce dimanche, un homme interpelle Jésus pour qu’il intervienne dans un conflit d’héritage. Jésus refuse de se mêler de cette affaire et en profite pour enseigner une vérité universelle en racontant une parabole.

Un homme riche, comblé par une récolte abondante, décide de construire de plus grands greniers pour y entasser ses biens. Il se dit alors: «Repose-toi, mange, bois, jouis de la vie». Mais Dieu lui répond: «Insensé! Cette nuit même, on va te redemander ta vie. Ce que tu as préparé, pour qui cela sera-t-il»?

Cette question a traversé les siècles sans perdre de sa pertinence: sur quoi bâtissons-nous notre vie? Sur l’accumulation de biens? Sur la sécurité matérielle? Ou sur une richesse qui ne passe pas? Jésus ne condamne pas l’homme riche pour sa réussite, mais il l’interpelle à cause de son repli sur lui-même, pour avoir cru que la vie se résume à consommer et jouir sans souci. Il oublie que la vie est fragile, qu’elle ne nous appartient pas, et qu’elle trouve son sens dans le don, non dans l’accumulation. 

Trois siècles avant notre ère, le sage Qohéleth, écrivait déjà: «Vanité des vanités, tout est vanité! Que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil?» Plus près de nous, Luc De Larochellière a développé ce thème dans sa chanson «Si fragile».

Chaque époque affirme, à sa manière, que plus nous possédons, plus nous sommes en sécurité. Mais pour Jésus la vie ne dépend pas de ce que nous possédons. Ce que nous avons peut disparaître en un instant. Ce que nous sommes, en revanche, demeure. C'est l'éternel combat entre avoir et être, qui ne sont pas juste difficiles à appliquer dans la grammaire française, mais aussi dans nos vies!

La parabole se conclut par ces mots de Jésus: «Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu». Mais que signifie être riche en vue de Dieu? 

Pour la tradition chrétienne, cela signifie vivre une vie alignée avec les valeurs du Royaume. Dans l’Évangile, le Royaume se reconnaît dans les cœurs ouverts à l’amour, au pardon et à la compassion. La générosité y fleurit, car on y partage ses biens, son temps, son écoute, investissant ainsi dans des trésors qui ne rouillent pas. Être riche pour Dieu, c’est placer sa sécurité, non dans les possessions, mais dans la confiance en Dieu, qui pourvoit aux besoins des siens, même dans le manque. Dans le Royaume qu’il a inauguré pour nous, Jésus s’est fait serviteur, nous apprenant ainsi à mettre nos talents au service des autres: visiter un malade, aider un voisin, soutenir une œuvre de charité. L’adhésion aux valeurs du Royaume procure également une liberté intérieure, car on y apprend à se réjouir de ce que l’on a, sans jalousie ni avidité. 

On pourrait tout aussi bien dire qu'être riche pour Dieu, c’est chercher à grandir dans la foi, dans la compréhension de la Parole, et dans l’intimité avec le Christ. Suivre ce chemin aide à prévenir le repli sur soi et ouvre aux autres.

Illustration: photographie de l’artiste Hector Charland (1883-1962) incarnant le personnage de Séraphin Poudrier dans la première adaptation de la série «Un homme et son péché», œuvre adaptée du roman de Claude-Henri Grignon et diffusée sur Radio-Canada de 1932 à 1962. Photo par Gabriel Desmarais (Photo Gaby), 1948. Source : BAnQ https://numerique.banq.qc.ca/patrim.../details/52327/2858407 

Pour illustrer l’Évangile de ce dimanche, je vous propose de puiser à une figure emblématique de la culture québécoise: Séraphin Poudrier. Séraphin est un personnage mythique adapté du roman «Un homme et son péché» de Claude-Henri Grignon. Depuis près d’un siècle, Séraphin traverse les générations, d’abord à la radio (1932–1962), puis à la télévision dans «Les belles histoires des pays d’en haut» (1956–1970), au cinéma «Un homme et son péché» (1949), repris plusieurs années plus tard sous le titre «Séraphin: un homme et son péché» (2002) et plus récemment dans la série contemporaine «Les Pays d’en haut» (2016–2021). Chaque version reflète son époque: les premières, ont été marquées par la censure et une ruralité idéalisée; la dernière se veut plus crue et dramatique, nous offrant ainsi une version plus fidèle à l’intention de Grignon et à la société de la fin du XIXe siècle qu’il met en scène.

Datant de 1948, cette photographie est l’œuvre de Gabriel Desmarais. On y observe Séraphin Poudrier, incarné ici par l’artiste Hector Charland. Le personnage est assis à une table sombre, entouré de pièces d'or, d’un billet et d’une chandelle. Il arbore un regard dur, des traits figés, et un costume austère. Tout dans cette image évoque l’archétype du pouvoir patriarcal qui trouvait sa déclinaison dans chaque coin du Québec rural: l’usurier, le prêteur sur gages, le notaire avare, le marchand général créditeur, le curé omnipotent, l’entrepreneur forestier abusif, etc.

La mise en scène proposée par l’artiste photographe évoque puissamment l’obsession de l’argent, de la solitude, et d’une vie centrée sur l’accumulation. Le décor est austère, presque monastique, mais l’objet de vénération n’est pas spirituel: c’est l’or. Cette photographie reflète une époque, une mentalité, et un pan entier de l’imaginaire québécois où Séraphin est devenu le symbole de l’avarice. Il vit dans la peur de perdre ses biens, incapable de générosité, même envers ceux qu’il aime. Il illustre très bien la parabole du riche insensé (Luc 12, 13-21), celui qui bâtit des greniers pour ses récoltes sans se soucier de son âme. Le sourire du personnage qu’incarne ici à merveille Charland, et ses successeurs Jean-Pierre Masson, Pierre Lebeau et Vincent Leclerc, n’a rien d’amical, c’est celui de l’avaricieux qui jouit en contemplant son gain.

Et nous, à quoi ressemblent nos greniers? Où mettons-nous notre sécurité? L’Évangile nous invite à ne pas vivre comme Séraphin, mais à bâtir une richesse qui ne rouille pas: celle de l’amour, du partage et de la foi. Car là où est notre trésor, là aussi sera notre cœur.

Bon jubilé de l’espérance!

Claude Pigeon, prêtre

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