«Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent.» (Lc 16, 1-13)
Les paraboles de Jésus mêlent le vraisemblable à l’inattendu. Aujourd’hui, un homme riche renvoie son gérant pour «gaspillage». Acculé, celui-ci falsifie des reçus avant de quitter son poste et se crée des alliés parmi les débiteurs de son maître et prépare sa sortie. Contre toute attente, Jésus le félicite… non pour sa fraude, mais pour son sens de l’urgence: «Cette histoire vous choque? Alors, prenez-en de la graine, vous qui devrez rendre compte de la manière dont vous avez géré votre vie».
Jésus nous appelle à la conversion, ici et maintenant. Je nous suggère ici trois verbes pour répondre à cet appel.
Décider: agir aujourd’hui, sans remettre à demain. Se convertir, c’est retourner son cœur vers Jésus dès maintenant. «Ne disons pas ‘je verrai plus tard’. Le temps de Dieu, c’est maintenant!»
Partager: donner sans attendre de retour. Comme le disait un rabbin: «Riches et pauvres ont besoin l’un de l’autre: les riches aident les pauvres en ce monde; et les pauvres soutiennent les riches dans l’autre». Les personnes que nous aidons sans contrepartie en ce monde plaideront pour nous, le jour où nous rendrons des comptes et réaliserons tout le bien que nous n’avons pas su faire en ce monde. Un vieil ami me disait souvent: «Qui donne aux pauvres, prête à Dieu».
Préparer: avancer avec foi, non par peur. Choisir la lumière tant qu’il fait jour. La conversion n’est pas une fuite devant le jugement, mais une vie en cohérence avec la récompense que nous espérons dans l’au-delà. En d’autres mots, la conversion véritable, c’est adopter une nouvelle manière de vivre qui nous fait entrer ici et maintenant dans la beauté du Royaume des cieux!
Entrons ensemble dans cet élan d’espérance!
Illustration: «Les Sept Œuvres de miséricorde»(1607) de Michelangelo Merisi dit Le Caravage. Église du Pio Monte della Misericordia à Naples. www.wikiart.org
Pour illustrer la parabole du gérant malhonnête proposée ce dimanche, voici un grand classique de la peinture baroque: «Les Sept Œuvres de miséricorde». Réalisée en 1607 pour l’église du Pio Monte della Misericordia à Naples en Italie, cette toile invite les fidèles à méditer les gestes de charité enseignés par Jésus tels que rapportés dans les évangiles.
Caravage rassemble plusieurs épisodes évangéliques dans un même espace. À l’arrière-plan, deux hommes portent un cadavre évoquant l’ensevelissement des morts. À droite, une jeune femme donne à boire à son père prisonnier, invitation à visiter les captifs et à nourrir les affamés. Au premier plan, d’autres figures habillent un pauvre, abritent un pèlerin et abreuvent un assoiffé. Enfin, à l’arrière, un paralytique gît au sol, entouré de visiteurs compatissants.
Un détail me touche particulièrement: la présence de Saint Martin de Tours (IVe siècle), patron du diocèse militaire du Canada et des soldats. Une nuit d’hiver, à Amiens, le cavalier romain Martin rencontre un pauvre qui a froid. Faute d’argent, il tranche son manteau pour le couvrir. Cette même nuit, le Christ lui apparaît drapé de la moitié du vêtement qu’il a donné. Bouleversé, il reçoit peu après le baptême. Caravage fait de cet épisode le symbole du partage avec ceux qui ne peuvent rien nous rendre, sauf un témoignage à venir dans l’au-delà.
L’œuvre exploite le clair-obscur de manière saisissante. Une unique source de lumière hors champ découpe les corps dans un contraste violent, typique du baroque. La palette, dominée par des ocres profonds, des bruns chauds et des rehauts de blanc, souligne la texture des étoffes et des chairs. La lumière crue devient un protagoniste visuel: tension dramatique et métaphore de la miséricorde divine.
Chaque geste représenté renvoie aux sept œuvres de miséricorde corporelle enseignés dans l’Église catholique: enterrer les morts, visiter les prisonniers, nourrir les affamés, vêtir les nus, abriter les sans-abris, donner à boire aux assoiffés et visiter les malades. Par la disposition circulaire des personnages et le jaillissement de la lumière, Caravage montre que la charité n’est pas un simple enchaînement d’actes isolés, mais un souffle unique qui transforme notre regard sur la pauvreté en un appel à la solidarité active.
L’historien de l’art Ralf van Bühren explique la lumière brillante comme une métaphore de la miséricorde, qui «aide le public à chercher la miséricorde dans sa propre vie». Ainsi, les observateurs que nous sommes, entrons en dialogue avec le tableau, car il nous invite à une remise en question. L’œuvre nous interpelle à «ouvrir les yeux» et à reconnaître, comme Jésus dans la parabole, la valeur insoupçonnée des plus petits et à faire preuve d'une compassion active, puis à changer de vie pour lutter contre les injustices.
Le pauvre, le malade, le petit, le sans-voix ne sont pas des ombres approchés avec compassion, charité et miséricorde. Ils deviennent visage du Christ. Voilà la lumière et la beauté que Jésus nous presse de contempler et de partager.
Le Caravage, à la suite de Jésus, saisit la dignité et la grâce des pauvres. Il projette sur eux une lumière nouvelle, celle du Christ. Comment ne pourrions-nous pas faire de même à notre tour?
Bon jubilé de l’espérance!
Claude