26 Oct
26Oct

« Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. » (Lc 18,14)

 Dans la parabole du pharisien et du publicain, Jésus nous invite à considérer notre manière de prier comme un miroir de notre cœur. Deux hommes montent au Temple pour prier. Tous deux sont croyants. Tous deux s’adressent à Dieu. Mais un seul repart justifié, ou déclaré juste par Dieu.

Ce n’est ni leur statut religieux, ni leur posture extérieure qui fait la différence, mais leur attitude intérieure. Le pharisien prie debout, énumère ses mérites, se compare aux autres. Il parle à Dieu, mais surtout à lui-même. Sa prière est un monologue, une vitrine. Le publicain, lui, reste à distance, n’ose même pas lever les yeux. Il se frappe la poitrine et implore : « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis. »

La prière devient ici un miroir de vérité. Dans cette parabole, le Temple, lieu sacré de la présence divine pour les Juifs, devient un espace de vérité. Ce que nous disons à Dieu révèle ce que nous croyons de Lui… et de nous-mêmes. Le pharisien se regarde avec complaisance : il a surtout confiance en lui-même. Le publicain, lui, se découvre vulnérable. Et c’est cette vulnérabilité assumée et offerte qui ouvre la porte à la grâce, par une prière d’abandon.

Jésus renverse les attentes : c’est celui qui s’abaisse qui est élevé. Ce retournement évangélique nous rappelle que la prière n’est pas un lieu de performance, mais un lieu de vérité. Ce n’est pas nous qui nous justifions devant Dieu. C’est Dieu qui nous relève, lorsque nous nous présentons tels que nous sommes : pauvres, aimants et fragiles.

Dieu ne cherche pas des prières parfaites, mais des cœurs ouverts. Il ne demande pas des bilans, mais des élans. Le publicain ne récite rien. Il crie. Et ce cri, nu, sans masque, sans mérite, est entendu. Car Dieu ne méprise pas le cœur brisé. Il le relève.

Cette scène nous invite à revisiter notre propre manière de prier. Sommes-nous capables de cultiver une prière d’abandon, où l’on se tiendrait simplement devant Dieu, tel que l’on est, avec nos forces et nos fragilités, nos élans et nos silences? Et cela, sans porter un jugement sur soi-même, laissant plutôt Dieu nous regarder, nous aimer, et nous pétrir un cœur semblable au sien ? Voilà un autre aspect de la prière que Jésus nous rappelle, à notre grand soulagement...

Illustration: Arlequin au miroir (1923), Pablo Picasso (1881-1973), huile sur toile ». Conservée au Museo Nacional Thyssen-Bornemisza à Madrid.

Cette invitation à la prière comme miroir intérieur trouve un écho saisissant dans une œuvre de Pablo Picasso : Arlequin au miroir, peinte en 1923, durant sa période dite « classique ». Cette toile fut initialement conçue comme un autoportrait. Mais plutôt que de se représenter directement, Picasso choisit d’incarner trois figures emblématiques : l’arlequin, l’acrobate et le pierrot, trois personnages issus du monde du cirque et de la Commedia dell’arte, qu’il affectionnait profondément.

La composition est sobre, presque austère. L’arlequin occupe l’espace, frontal, solide, vêtu d’un costume aux lignes géométriques. Il tient un miroir, mais son regard semble ailleurs, comme s’il hésitait à affronter son propre reflet. Le visage, inspiré du pierrot, devient masque. Le miroir, pourtant présent, ne reflète rien. Il devient symbole de l’absence, du doute, du décalage entre l’image et l’identité.

La palette choisie par Picasso renforce cette tension intérieure. Les couleurs sont feutrées, retenues: des tons terreux, des gris bleutés, des bruns silencieux, parfois traversés de touches plus vives dans le costume. Rien d’éclatant, rien de spectaculaire. L’arlequin n’est pas dans la lumière du spectacle, mais dans une atmosphère de retrait, presque méditative. Les couleurs ne cherchent pas à séduire, mais à révéler une intériorité. Le costume, pourtant coloré, semble s’effacer devant le visage, ce visage devenu masque, ce regard tourné vers soi, ou peut-être vers Dieu, qui sait?

Dans cette œuvre, le miroir ne renvoie pas une image flatteuse. Il interroge. Il trouble. Il devient lieu de tension entre ce que l’on montre et ce que l’on est. L’arlequin, figure de spectacle, est aussi celui qui dissimule. Comme le pharisien de la parabole, il pourrait être tenté de se définir par son costume, ses rôles, ses apparences.

Mais le miroir ne ment pas. Il ne renvoie pas le masque, mais le visage. Et c’est là que le lien avec l’Évangile devient lumineux : le publicain, lui, ne se regarde pas. Il se présente tel qu’il est, sans chercher à se voir autrement. Il ne tient pas de miroir, mais il se laisse regarder par Dieu. Plus encore, il prend le risque d'une justice miséricordieuse, car il a une confiance totale. Le résultat ne décevra pas.

Avec ce regard inspiré par l’évangile, l’Arlequin au miroir devient alors une invitation à déposer les masques, à cesser de jouer un rôle devant Dieu. Le disciple du Christ cherche à entrer dans une prière qui ne cherche pas à séduire, mais à se laisser transformer. La prière, comme miroir de l’âme, ne sert pas à se contempler, mais à se reconnaître tel que l’on est face à Dieu. Et c’est dans cette reconnaissance que la grâce peut surgir.

Bon jubilé de l’espérance ! 

Claude

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